vendredi 16 mai 2014

Fabrique de la ville et participation des habitants.

Le thème de la « participation » est aujourd'hui omniprésent dans la fabrique de la ville : prôné par les élus, revendiqué par les habitants, interprété de manières diversifiées par les porteurs de projet. Souvent perçu comme incantatoire, le terme intrigue : qu'y a-t-il derrière la notion de participation ? Comment s'incarne-t-elle et quels sont ses effets concrets ? Peut-on y voir l'amorce d'une nouvelle manière de concevoir la ville, moins experte, plus perméable aux aspirations de ses habitants et usagers ?
 
atelier participatif_BazarUrbain

A l'origine des pratiques contemporaines, le concept de « démocratie participative » naît dans les années 1960, dans un contexte marqué par la remise en cause du monopole de l’État tout puissant : il s'agit alors de consolider le système représentatif par une meilleure association des citoyens à la prise de décision. Le concept prend progressivement corps dans les décennies suivantes, dans un domaine particulièrement mobilisateur : celui de la transformation du cadre de vie. Reposant sur une collaboration entre décideurs et population, la participation prend des formes diversifiées, pouvant être lue comme relevant de dynamiques « ascendantes » ou « descendantes ».

Dans le premier cas, la participation est le fruit d'initiatives des habitants, souvent constitués en collectifs pour défendre des intérêts communs ou promouvoir un projet. Elle se traduit par l'aménagement d'un jardin partagé ou d'un espace public soutenu par la mairie, par l'instauration d'un dialogue qui place l'action publique au plus près des besoins, par une implication au sein de dispositifs institutionnels. 

Dans le second cas, la participation est proposée par les décideurs dans le cadre d'instances inscrites dans la durée (conseils de quartiers par exemple) ou de démarches ponctuelles sur des projets relevant de leurs compétences (aménagement urbain, tracé d'une ligne de chemin de fer, refonte d'une politique publique). Ces démarches reposent généralement sur des dispositifs formels, souvent liés à une obligation légale, parfois organisés de manière volontariste. La participation passe alors par différents types d'outils, plus ou moins favorables à la réflexion collective : enquêtes et sondages, réunions publiques, ateliers d'urbanisme, groupes restreints chargés de délibérer sur une question donnée.

Si l'offre institutionnelle va croissante depuis une dizaine d'année, elle suscite autant d'enthousiasme que de scepticisme. Les décideurs se rapprochent des habitants, certes, mais la participation renvoie à un enjeu pouvoir qui laisse bien souvent les participants sur leur faim.  L'hétérogénéité des pratiques et la non-normalisation des termes qui y sont associés[1] prêtent à la désillusion. Le temps long des projets comme leur complexité n'arrangent pas les choses, masquant souvent les effets concrets de la participation. Ceux-ci, pourtant indéniables, sont de plusieurs ordres :

-  Contribution aux projets, par un enrichissement des réflexions menées en phase de programmation et/ou de conception ; dans le cas bordelais, on prendra l'exemple des démarches participatives organisées en amont des projets d'aménagement du quartier Euratlantique et de franchissement de la Garonne, qui ont permis aux associations d'habitants de contribuer de manière effective à la définition des attendus ;
-       Évolution de l'action publique, qui gagne en transparence sous la pression des élus soumis à l'« impératif participatif »[2], ainsi que grâce au décloisonnement des pratiques ;
-  Effet d'apprentissage pour les habitants, qui acquièrent de nouvelles connaissances (techniques, procédurales) et compétences (s'exprimer en public, argumenter, négocier) et sont ainsi plus à même d'agir collectivement sur leur cadre de vie.

Ainsi, malgré le fossé qui sépare parfois les attentes des effets visibles de la participation, celle-ci n'est-elle pas complètement vaine. Mais comme le montrent de nombreuses études de cas, l’un des principaux obstacles à son déploiement réside dans la défiance réciproque des acteurs (décideurs et professionnels de l'urbain d'un côté, habitants de l'autre), qui ont tendance à préjuger de l'incompétence et de l'incapacité de l'autre à collaborer en bonne intelligence. Reste à espérer que les efforts pour faire la ville ensemble perdurent des deux côtés, produisent de nouvelles voix de dialogue, des outils appropriables par tous et suffisamment de bénéfices pour nous faire peu à peu baisser la garde, afin que s'établisse la confiance nécessaire à l'émergence d'une approche renouvelée de la ville, plus transversale et coopérative.

Aurélie Couture
architecte
auteure de la thèse : "fabrication de la ville et particiption publique : l'émergence d'une culture métropolitaine : le cas de la Communauté Urbaine de Bordeaux"
 


[1] « Information », « consultation », « concertation », « co-construction » notamment, qui renvoient à une échelle d'analyse de la participation en termes de degré d'implication dans le processus décisionnel.
[2] Voir Blondiaux Loïc, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Seuil, 2008