dimanche 16 mars 2014

conclusion du DEBAOBAB #6 - La Démolition



Si comme l’exprime l’architecte Bernard Desmoulin « le concepteur ne doit pas se laisser intimider par la puissance et le jugement de l’histoire » [1], le choix de la démolition, suppression d’un état devenu milieu est un processus de réflexion long et délicat. Les champs de réflexions, urbain, technique, social, financier, mêlés de questions politiques, doivent (a priori) considérer le fort impact psychique de ce phénomène sur les habitants. 


Bien que les processus de démolition marquent et temporisent plus un changement d'état qu'une fin en soi, ils bousculent inévitablement les représentations des citoyens, conduisant à des pertes de sens, de repères ou encore d'identité. Ces bouleversements, propres à chacun, restent inquantifiables, car difficiles à mesurer scientifiquement. On s’aperçoit cependant qu'ils sont favorisés quand les personnes sont écartées des processus de transformation, leur représentation de l’inconnue laissant place à de grands doutes. 

Dans les cas de démolition importante, il est donc nécessaire de communiquer et d’échanger sur l’avenir d’un paysage commun, à la fois pour fabriquer le projet mais également pour construire les bases d’un discours accessible au plus grand nombre.

            Toutefois, la démolition n’est-elle pas, au final, la représentation physique de notre propre condition d’Homme - Vivre, comme construire, ne serait donc qu'une question de finalité ? Selon Bossuet, pas tant que cela :
« Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? J’entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort : la nature, presque envieuse du bien qu’elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu’elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce : elle en a besoin pour d'autres formes, elle la redemande pour d’autres ouvrages.» [2]




            Déjà le 16 mars 1972 à 15h00, Charles Jenks qualifiait la destruction de Pruiit-Igoe, quartier de Saint Louis (Missouri) aux Etats Unis, comme la « mort de l’architecture moderne »[3]. Le théoricien s’est appuyé sur la force destructrice de cet événement pour annoncer la naissance du post-modernisme. 

            Le choix de la démolition d’un quartier de barres d’immeubles (d’inspiration moderniste) n’est pas un hasard : même si elle enterre une image, la démolition qu’il pointe du doigt semble être porteuse de projets. En effet, elle crée de fait, par l'anéantissement d’un état présent, une multitude de questionnements et repositionne l’Homme dans un contexte nouveau.

        Il semble qu’avec une telle effervescence, la question de la démolition ne doive être considérée comme un obstacle à la transformation et à l’amélioration d’un environnement, dans la mesure où les concepteurs ne se limitent pas aux diktats d’une politique brimée par l'économie de moyens.


[1] Entretien entre Jean Michel Delacomptée et Bernard Desmoulin le mercredi 6 mars 2013 à l’auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine, dans le cadre des rencontres architecture & littérature : « La ruine, le reste ».
[2] Extrait de Sermon sur la mort, Oraison Funèbre, 1662, Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)
Homme d’Eglise – Prédicateur et écrivain français
[3] Charles Jenks, Le langage de l’architecture post-moderne, 1977,