Démolition, reconstruction, rénovation urbaine… Ces termes évoquent tout de suite des projets architecturaux et urbanistiques d’envergure, s’étalant sur le long terme (parfois à l’échelle de plusieurs décennies), et dont les principaux protagonistes sont les architectes, les urbanistes, les paysagistes et autres techniciens, ainsi que les élus et les opérateurs publics.
Si la
réussite d’une opération de renouvellement urbain tient sans conteste à la
qualité du projet technique, elle est indéniablement liée à la prise en compte
du principal « objet » du projet : l’Habitant.
démolition d'une tour - Cité Yves Farges à Bègles |
Car l’objectif de telles opérations est certes de modifier le paysage urbain, mais dans le but d’améliorer les conditions de vie des habitants qui vivent et des personnes qui travaillent sur ce territoire. L’objet est bien de favoriser une meilleure appropriation des espaces publics et privés dans la perspective de permettre le « vivre ensemble », et ce dans les meilleures conditions possibles et pour chacun d’entre nous : c’est-à-dire « faire société ».
Ainsi, la
prise en compte de la dimension humaine et sociale du projet est essentielle et
prioritaire.
Un projet de
renouvellement urbain doit, dès le départ, s’attacher aux besoins et aux
problématiques des habitants et des résidents du territoire concerné.
Aux côtés
des financeurs public et privés, des bailleurs, des collectivités, des
architectes et urbanistes, le travail social a dès lors une place à part
entière au sein du pilotage du projet : de l’élaboration en passant par la
mise en œuvre et jusqu’à l’évaluation.
L’accompagnement
social, et plus particulièrement l’accompagnement au relogement, nécessite une
attention particulière. Il s’appuie sur une méthodologie élaborée en partenariat :
bailleurs et acteurs locaux de l’action sociale.
Son objectif
est de permettre, d’évaluer, de faire émerger les besoins et attentes des
habitants et des résidents du territoire, de favoriser la proximité avec les
habitants et de mettre en œuvre la concertation et la participation des
habitants.
Ce travail
s’appuie sur un principe, une idée :
« Le
temps de l’habitant n’est pas celui de l’opérateur, de l’architecte ou de
l’élu ».
J’ai
travaillé dans le cadre de l’opération de renouvellement urbain de Bègles,
commune de 25 000 habitants de l’agglomération bordelaise. Cette opération consistait
dans le renouvellement quasi complet du quartier Nord-Est de la Ville, marquée
par l’arrivée du tramway au cœur d’une cité de 448 logements, dont près de 300 allaient
être démolis.
Une des
premières réunions publiques, à laquelle j’ai participé, a eu lieu dans une
école du quartier en 2001 ou 2002. J’ai gardé, tout au long de ma mission, le
souvenir de cette habitante qui, en sortant de cette réunion publique de
présentation du « schéma directeur » par l’architecte et les élus de
la ville, me disait : « Ce projet c’est l’Arlésienne ! On en
entend parler depuis des mois et ça ne se fera jamais ! »
Les
habitants ont attendu encore trois ou quatre ans avant de voir la première
pelleteuse dans le quartier.
Les enfants
des familles accompagnées à l’époque dans le cadre du relogement, sont devenus
de jeunes parents pour qui les préoccupations ont évolué avec les années :
la question de la fonctionnalité, du coût du logement, ainsi que des services
de proximité, de l’accès à l’emploi ou aux transports en commun a supplanté
pour eux celle des balançoires dans le parc ou du city stade au pied des
appartements, même si l’intérêt demeure au vu de la génération suivante.
Près de 14
ans après le démarrage du projet, l’opération n’est pas entièrement achevée et
le quartier est encore en chantier. Même si de nombreux logements ont été
construits et livrés et que le tramway fonctionne et dessert depuis plusieurs
années les nouvelles résidences et entreprises installées sur le territoire,
des travaux de construction, de prolongement du tramway, de voirie et autres entreprises
d’aménagement des espaces publics sont encore en cours.
L’habitant a
nécessairement besoin d’être entendu et accompagné durant cette période qui, à
l’échelle d’une vie personnelle et familiale, peut sembler une
« éternité ».
Dans ce
contexte, la proximité n’est pas qu’une notion. Elle doit se traduire par des
moyens et des outils devant favoriser réellement sa mise en œuvre, et ce à deux
niveaux : en ce qui concerne l’accompagnement individuel des familles mais
aussi l’accompagnement des habitants sur un plan collectif.
· L’accompagnement
social au relogement des familles s’est appuyé dans ce projet sur la
mise à disposition auprès du bailleur d’une conseillère en économie sociale et
familiale du centre communal d’action sociale, ainsi que sur le suivi
individuel de chacune des familles tout au long de l’opération, des rencontres
au domicile des personnes, des permanences hebdomadaires sur le quartier en
pied d’immeuble. La disponibilité d’un travailleur social « dédié » à
l’opération, disponible et présent physiquement sur le quartier a favorisé
cette proximité nécessaire avec les habitants.
L’enquête sociale de relogement a
permis dans un premier temps de repréciser les besoins et attentes des
habitants du quartier et de pouvoir faire le lien avec les propositions du
projet, qui furent ainsi adaptées autant que possible.
Les suivis
individuels
ont permis de repérer les éventuelles difficultés socio-économiques des
personnes, de rechercher des logements adaptés aux différentes situations
(logements pour personnes à mobilité réduite, composition familiale…), de
favoriser l’autonomie et l’intégration dans le nouveau logement (gestion des
nouvelles charges liées à l’individualisation des compteurs ou du
fonctionnement des appareils de chauffage par exemple…).
Les familles restant dans les
logements des bâtiments réhabilités ont également été accompagnées en suivi
individuel. Plus d’une cinquantaine d’entre elles ont pu bénéficier de l’aide à
« l’auto-réhabilitation accompagnée ». Ce projet social fut mis en œuvre
en cours d’O.R.U. (Opération de Renouvellement Urbain) en 2005, grâce à un
partenariat entre le centre communal d’action sociale de la ville, le bailleur,
la collectivité, la Maison Départementale de la Solidarité et de l’Insertion (service
social déconcentré du département) et en s’appuyant sur les compétences de
l’opérateur technique, l’Association des Compagnons Bâtisseurs. Basée sur le
principe de l’entraide et de la solidarité, cette action a permis à ces
familles, qui n’avaient les moyens ni économiques, ni matériels et/ou de
compétences, de rénover leurs logements par le biais de travaux d’aménagement,
de réparations, de confort et/ou de décoration.
·
L’accompagnement
collectif
des habitants concerne plusieurs domaines d’intervention. Prendre en compte la
dimension sociale du projet, c’est aussi s’attacher aux problématiques de vie
collective au sein des immeubles et du quartier (gestion des dégradations, de
la vacance des logements une fois les relogements engagés, des nuisances, des
déchets…). Ainsi fut mis en place un groupe de gestion urbaine de proximité
constitué d’habitants, du bailleur, de techniciens et d’élus. Des rencontres
mensuelles ont permis de faire face aux différentes difficultés rencontrées par
les habitants et les opérateurs tout au long de l’opération.
Donner une
place à l’habitant dans un projet de renouvellement urbain, c’est faire place
aux vies bousculées par l’évolution urbanistique et économique. Accompagner les
habitants dans un quartier en mutation, c’est faire un travail de mémoire pour
leur permettre de s’approprier ce changement de cadre de vie. Pour des familles
qui ont vécu depuis plusieurs générations au sein de ce quartier. C’est un
travail de deuil dont il s’agit parfois. Ainsi, l’animation sociale, par le
biais des maisons de quartier et des associations locales, permet d’accompagner
les familles, dans la proximité, au plus près des préoccupations des habitants.
Au cœur du
chantier il y a l’Habitant ; celui pour qui on remue ciel et terre, celui pour
qui on rénove, on démolit, on reconstruit.
Tamara Granet-Monllor
Directrice du Centre Social et Culturel
L'Estey, Bègles