Propos rapportés DEBAOBAB #3 " Lieux, Peuples et Revendications",
Alain Delmas,
Responsable CGT
Sur
les questions : Pourquoi manifeste-t-on ? Où manifeste-t-on ?
Comment
s’empare-t-on de l’espace public ?
« La manifestation,
s’emparer des lieux publics, c’est vieux comme le monde. L’agora c’était
s’emparer des lieux publics pour débattre, c’était des lieux de démocratie et
d’échanges. S’emparer des lieux publics, de la rue, c’est aussi dire qu’on
existe, exprimer des problèmes, faire des propositions et se faire entendre. Ce
sont aussi des lieux de solidarité et de convergences. […]
On a souvent l’impression que
c’est facile mais, ce n’est pas aussi simple que cela de s’emparer de l’espace
public. D’abord parce qu’il y a eut des lois qui sont tombées, les lois Pasqua,
des lois liberticides, dans les années 1993-1994. Avant on ne faisait pas de
demandes, on n’avait pas besoin d’autorisations pour manifester. Ensuite, parce
que la ville elle-même évolue, l’espace public se transforme. A Bordeaux, par
exemple avec le tram, il y a tout un tas de lieux dont on ne peut plus
s’emparer. Les tracés pour les manifs par exemple : La préfecture, le
conseil régional, la mairie de Bordeaux, ce sont des lieux symboliques. La
place de la Victoire aussi est un lieu symbolique. Mais il y a des lieux
auxquels c’est de plus en plus difficile d’accéder. […]
Cite « Nolli poche en noir les blocs et habitations privées mais détail
le plan intérieur des bâtiments publics, le blanc de l’espace du vide (la rue)
se poursuit à l’intérieur des édifices publics indiquant clairement que leurs
espaces, même intérieurs, deviennent à la disposition du public. » C’est
fini ça, c’est fini ! Les édifices publics n’appartiennent plus au
peuple !
Sur la question des
revendications, il y a différents lieux pour revendiquer. L’entreprise
elle-même qu’on peut occuper. Je me rappelle d’une entreprise sur la rive
droite, les mecs en avait marre, ils étaient mal payés (…). Un matin ils ont
dit, « nous on arrête tout ! ». Ils ont fait un petit tract et
ils sont allés bloquer un rond-point. Donc ils se sont emparés de cet espace
public pour signifier et communiquer, expliquer « Nous on est là et voilà
pourquoi on fait ça ! »
Quelle est l’influence des réseaux sociaux dans la pratique de la
manifestation ?
« J’ai lu plein de commentaires sur le printemps arabe
où ils disaient que ça avait été déterminant mais, ça peut pas être le réseau
social qui a permis ça ! ça suffit pas en lui-même c’est-à-dire que en
amont, il y a besoin d’avoir des organisations, quelles qu’elles soient, des
organisations de femmes et d’hommes, qui vont se retrouver, qui vont discuter,
où il va y avoir de l’humain, etc. le support web, internet, ça va être un
plus. (…)L’outil ne suffit pas en lui-même. Tu ne peux construire qu’avec
les intéressés. Une manifestation ça se décide avec les gens eux-mêmes. […]
Une notion qui mérite d’être rappelée c’est que tous ces
mouvements, c’est l’individuel par rapport au collectif. Pendant des années on a dit que c’était la
masse qui comptait et, c’est toujours d’actualité, plus on est nombreux plus le
rapport de force est grand. Sauf que cette masse elle est composée d’individus
et que si l’individu ne se retrouve pas dans cette masse, si son individualité
n’est pas reconnue, la masse elle explose. Chaque individu compose cette masse
mais il faut respecter cette individualité. Cette notion de rapport de
l’individu au collectif, c’est bon pour les mouvements revendicatifs mais c’est
vrai aussi pour toute forme d’organisation. »