vendredi 1 novembre 2013

Lettre d’un élu aux architectes



POINT N°01 : Les citadins rêvent de bon air et de grandes maisons…
Il y a, c’est vrai, des retraités de la ville dont certains donnent l’impression qu’ils ne savent pas très bien s’ils ont compris ce qu’ils venaient faire là. Une population bien repérable qui vit à la campagne mais qui signifie clairement qu’elle ne comprend pas que la campagne n’est pas comme la ville : sans coq, sans ânes, sans tracteurs, sans chiens, et presque sans bistrots… mais pas sans tondeuses. Il y a aussi, des gens qui viennent vivre « à la campagne » ou revivre à la campagne, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Sans compter, les fils de paysans, les enfants du pays, qui reviennent parce qu’ils ne peuvent ni se loger correctement ailleurs, ni trouver du travail. Ils reviennent et construisent petitement parce que leur famille leur cède un petit terrain. Et parce que le maire cède à leur famille un petit permis de construire. Ces enfants du pays dont on peut se demander étant donné les maisons qu’ils construisent, s’ils se souviennent qu’ils sont nés là, et qui ne sont pas du tout en reste de tondeuse et de propreté tirée au cordeau, de clôtures agressives, de chiens qui défendent « leurs territoires ».





La géographie historique de la Gironde, un maillage de gros bourgs, notamment les huit bastides et de petits villages sont désertés, parce que les logements sont soit trop petits, soit en très mauvais état, soit carrément malsains. Le reste de l’habitat est dispersé. A la Réole, un bourg de 4 600 habitants, nous avons plus de 400 logements en déshérence. Tandis que les petits commerces ferment les uns après les autres. La zone commerciale prolifère à deux kilomètres du centre ville.
Il y a là-dedans, à ce qu’il me semble, très peu de sentimentalisme ou de nostalgie à l’égard des « territoires ruraux ». Un pourcentage faible de motivations symboliques. Par conséquent, il y a des éléments mécaniques, des contraintes concrètes, qui expliquent cet « attrait » pour la campagne. Il y a des gens qui aiment la campagne parce qu’ils n’ont pas droit à la ville. Pour moi,  les derniers vrais amoureux de la campagne, ce sont les chasseurs. Un amour véritable est un amour jaloux et exclusif. Un amour vache.
Comme vous pouvez l’entendre, tout cela est très économico-sociétalo-politico- territorial.
Ceci est le quotidien d’un élu du coin, qu’il soit d’un gros bourg, comme moi, ou d’un petit village. La plupart des élus proclament leur impuissance, mais vous pouvez tout à fait leur en parler, ils ne feront pas les étonnés, ils joueront aux victimes. Après, c’est à vous de leur apporter une solution, et de vous battre avec eux.

POINT N°02 : Des solutions et des réponses ?
Je crois que la solution ne se trouve pas dans l’analyse de la demande. Se gratter la tête pour savoir quelles sont les demandes des habitants actuels est assez illusoire. Il me semble qu’elle ne peut analyser que les habitudes de vie et les phantasmes des gens soumis à ce qu’on leur impose, qu’on leur construit, qu’on leur vend, qu’ils ont toujours vu, et qu’ils achètent, bien forcés. Je crois que leur imaginaire a été entièrement structuré et nourri par les produits dessinés et construits à la chaine par l’industrie du logement, et par l’industrie du territoire.

Je crois que la réponse est dans une politique de l’offre, mais à condition qu’elle offre soit de grande qualité, qu’elle ne réponde pas à une demande un peu névrosée, qu’elle analyse en même temps les besoins du territoire, du paysage, et les vrais besoins des gens qui veulent l’occuper. Les besoins, dis-je, pas le discours. Cela vous semble brutal, sans doute. Mais je crois que ces revendications, qui sont la forme moderne, aliénée du classique une chaumière et un coeur, ne sont que le reflet, la répétition de l’offre standardisée. Un client vous demande un fronton à colonnes doriques à côté de la fenêtre des toilettes. Ne me dîtes pas que c’est parce qu’il en a besoin. On lui fait croire que son statut réclamait un fronton à colonnes doriques. On lui a montré combien c’était chouette un fronton à colonnes doriques. Son humiliation sociale en a besoin. Qui doit résister ? Le maire ? Le promoteur ? L’architecte ?
Quant aux logements « moyen de gamme», quels sentiments produisent donc aujourd’hui ces «équipements»? En plus du clos et du couvert, quels réconforts apportent-ils? Quelle envie de s’activer à la campagne? Quel sentiment de jeunesse? Quelle impulsion? Quelle capacité de résister à la dépression? Quelle envie de vivre tous ensemble? Et en fin de compte, quelle envie de résister à la barbarie?

POINT N°03 : Le politique et sa responsabilité.
Cette politique pose questions. La simplification des collectivités territoriales ne résoudra rien, si elle aboutit seulement à remettre entre les mains des grands décideurs un outil plus puissant, plus simple, (Interscot) afin d’appliquer des cadrages plus restrictifs. Plusieurs effets pervers sont possibles.
Premièrement, les élus continuent de bricoler les PLU, gardant une marge de liberté, afin de satisfaire leur clientèle. Et nous ne croyons pas que réduire le nombre des élus assurera la victoire du rationnel. Il pourrait s’établir une bourse aux faveurs dans les inter-communalités. 
Deuxièmement, ces implantations privées dans des toutes petites parcelles continueront. L’appréciation du foncier agricole arrivera trop tard. On n’arrêtera pas la demande par le chômage. Il ne faut pas beaucoup de maisons, misérables, ou ostentatoires, pour défigurer ou empoisonner un bourg. Vingt, trente suffisent.
On pourra ainsi, en conclusion devant cette menace, se demander si un territoire cohérent comme l’Entre-Deux Mers n’a pas de nouveau besoin. Comme dans les siècles passés, il aurait besoin d’une conception globale, d’un nouveau système d’urbanisme et d’une architecture cohérente et réussie, fonctionnelle, pour la nouvelle démographie, la nouvelle sociologie, et la nouvelle économie! Autrement dit un tout nouveau vernaculaire.
En disant cela, un « yaka, fauqu’on », je ne m’adresse pas seulement aux architectes, des praticiens qui ne peuvent se contenter d’obéir et d’exécuter une politique, je m’adresse à des citoyens.


Bruno Marty –
Adjoint à l’enfance/jeunesse, vie scolaire et NTIC, ville de La Réole