mercredi 30 octobre 2013

Survol d'un village

Une mosaïque de beige, émaillée de brun, des toits de tuiles ocres, quelques arbres, un ruisseau et puis la départementale au milieu. Il y a quelques années la DDE l’a élargie et a créé un contournement du village. Avant cette route passait en plein milieu coupant le centre en deux. La place centrale s’appelait  « place de l’église » du côté de l’édifice religieux et avait été baptisée « place de la République » du côté de la mairie. Les habitants s’en accommodaient même si ils craignaient pour les enfants et leurs ballons mais, les commerçants s’en réjouissaient. L’épicerie était un lieu de ravitaillement pour les vacanciers, de même que la boulangerie. A cette époque le village comptait également un autre boulanger, une boucherie, un tabac-presse, plusieurs bistrots, deux magasins de vêtement, une quincaillerie qui vendait aussi de l’électro-ménager, un sculpteur qui taillait la pierre et quelques autres artisans et commerçants, comme ce vendeur d’articles de pêche. Aujourd’hui, avec le contournement, de nouvelles habitations ont vu le jour à l’entrée du village, construites sur d’anciennes terres agricoles. Dix ont d’abord poussées puis d’autres sont venues. Au bout du cul-de-sac, une ancienne bâtisse se dresse, entourée d’un verger, c’est la ferme de l’ancien domaine. De l’autre côté du village, une grosse exploitation vient se nicher près de la rivière, elle est entourée de champs ; un tracteur rouge, flambant neuf, est en train de labourer.



Au début du XXème s., le paysan labourait ses champs à l’aide d’une charrue tractée par un bœuf ou par un cheval. Le soc de la charrue s’enfonçait dans la terre par la force de l’homme exercée sur l’outil. Puis les tracteurs sont arrivés, le paysan est devenu agriculteur dirigeant les sillons à creuser du haut de son engin. Les mécaniques se sont perfectionnées, les techniques se sont améliorées et les tracteurs sont devenus de véritables postes de pilotage avec radio et GPS intégrés. La quantité d’engrais délivrée à l’hectare est calculée numériquement. L’autopilotage permet à l’agriculteur de vaquer à d’autres tâches depuis la cabine de son tracteur tandis que l’engin est guidé par le système de coordonnées satellites. Derrière l’alignement parfois bucolique des champs se cache une mécanique agricole précise et implacable qui garantit un certain taux de production à l’hectare, les cultures s’ordonnent selon la main de l’homme et selon sa pensée.

L’homme au tracteur rouge est un agriculteur d’un nouveau genre. En vingt ans il a modernisé toute sa production, il a acheté du nouveau matériel et remis en cause des principes anciens même si ça n’a pas été facile. Il laboure moins mais mieux. Il a construit une nouvelle grange avec sa banque qui récolte pour son propre compte l’argent de la production d’électricité des panneaux photovoltaïques placés sur le toit. Dans 20 ans, tout lui appartiendra, pour l’instant ça lui a juste coûté son terrain. Il a également créé une coopérative de producteurs, il s’est lui-même occupé de monter le site internet nécessaire à la vente de leurs produits. Aujourd’hui, il regrette juste de ne pas avoir une couverture totale de la 3G sur son domaine et de pouvoir consulter ses mails depuis son smartphone, il se revendique ageekculteur.

Vu du ciel, un alignement parfait pour ces sujets bien dociles malgré leurs 50 ans ; dans les vergers qui entourent l’ancienne ferme, un homme est en train de tailler les pommiers. Ce n’est pas son métier, il est illustrateur, il travaille depuis chez lui. La ferme est l’ancienne exploitation de son père et à la retraite de celui-ci, il a déménagé avec femmes et enfants, il l’aide à gérer la partie du domaine restante, comme il peut. Il soigne les arbres, remonte des murs, ramasse les pommes de terre et les poireaux quand ils ont bien donné. Sa femme s’occupe des poules, ses enfants des lapins.  Ses enfants sont heureux de s’occuper des animaux et sa femme, infirmière libérale, a trouvé ici de meilleures conditions de travail qu’au CHU où elle travaillait avant. Lui, il a de la place pour dessiner, il a transformé l’ancienne grange en atelier, c’est son sanctuaire.

Au centre du village reconnaissable à sa toiture bien pentue, se dresse le bâtiment le plus ancien du coin, l’église du village. Près du clocher, une vieille femme est assise sur une chaise devant chez elle. Elle habite l’ancien presbytère. Elle contemple les quelques anciens rassemblés sur le terrain de pétanque. Tout neuf, il a vu le jour sur la place lorsque le maire a commandé de nouveaux aménagements suite au grand contournement. La voie a été rétrécie et recouverte de pavés, les deux places ont été réunifiées et quelques arbres plantés. La petite vieille peut maintenant regarder jouer au foot les quelques enfants restés au village. Il y a quelques années, chaque village avait son école. L’instituteur ou l’institutrice y était des figures tutélaires. Ils enseignaient aux petits à lire et à écrire, à compter aussi. La scolarité se terminait souvent avec l’obtention ou non du certificat d’études et peu d’élèves avaient le choix d’études secondaires. Les générations se succédaient à la tête de l’affaire ou du domaine familial. Puis, beaucoup d’écoles se sont transformées en salle des fêtes, moins de jeunes sont revenus de leurs études pour prendre la suite de leurs parents. Seuls les vieux sont restés.

Depuis la cabine de son tracteur, l’agriculteur s’interroge, en vingt ans il a modelé son domaine, façonné sa terre. Il a investit son temps et son argent à refondre la ferme de ses parents en une entreprise rentable. Il a cru en la technologie et dans une production raisonnée, plus saine. Il a amélioré la qualité de ses produits sans appauvrir davantage le sol. Seulement après lui, il n’a personne pour prendre sa suite. Il a encouragé ses filles à faire des études, son fils à faire du sport et, aucun d’eux n’a montré le moindre intérêt pour son métier. A la retraite, il revendra probablement une partie de sa propriété à un jeune agriculteur et peut-être le reste à des promoteurs comme son vieux voisin. Des gens viennent et cherchent des terres pour construire, bien qu’ils n’aient aucun réel intérêt pour la vie d’ici.

Certains jeunes parfois reviennent, comme cet illustrateur, occupé maintenant à dessiner un livre pour enfants. Avec sa famille, ils ont quitté la ville il y a quelques années. Sa femme et ses enfants se sont bien acclimatés. Elle se sent indispensable aux personnes âgées dont elle s’occupe, les enfants ont de l’espace, ils jouent avec le poney du voisin ou se baignent dans la rivière l’été. Pourtant lui, il se sent tiraillé. Au début il était heureux de quitter la ville dont il a toujours décrié l’exiguïté surjouant son rôle de fils d’agriculteur inadapté à la vie urbaine. En vérité, il s’y est plutôt plu. De 18 à 35 ans, il sortait beaucoup, profitait de ses amis et de l’intense vie culturelle locale. Parfois, devant ses amis, il encense son nouveau mode de vie familial, prophétisant pour les années à venir une longue hémorragie de citadins dégoûtés par la vie en ville et lorsqu’il a un peu trop bu, prédisant un exode urbain massif. S’il apprécie le calme et la quiétude du lieu, il rêve parfois de virées secrètes  en ville simplement pour ne pas attendre la sortie en VOD du dernier Woody Allen. 

Margaux Rodot