mardi 12 novembre 2013

DEBAOBAB #5 - La Démolition : l'écho des pierres qui tombent



« Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? J’entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort : la nature, presque envieuse du bien qu' elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu' elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu' elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce : elle en a besoin pour d' autres formes, elle la redemande pour d' autres ouvrages.»

Extrait de Sermon sur la mort, Oraison Funèbre, 1662
 Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)
Homme d’Eglise – Prédicateur et écrivain français




               
            La destruction a constamment suscité crainte et peur. Les guerres et conflits ont associé la disparition d’un édifice à un traumatisme collectif, suscitant des réactions de défense et de mise à distance des ennemis.
La démolition, acte conscient qui balaie les traces d’une mémoire collective, quant à elle fait place à un nouvel être-au-monde. Le crédo du développement durable associé aux volontés politiques actuelles promeut les idées de transformation plutôt que de dissolution. On assiste alors à des démolitions commandées et assumées ; autant d’opportunités pour mettre en valeur l’idée de changement. C’est ainsi que disparaissent des œuvres notables du patrimoine construit dont nous sommes collectivement dépositaires, comme la halle de Fontainebleau (œuvre de l’architecte Nicolas Esquillan, 1942) ou les logements de Courcouronnes (œuvre de Paul Chemetov, 1984).


Pourquoi sommes nous si attaché à l’environnement que nous créons de toute pièce ? 
                Comment travaille-t-on l’idée de démolir un lieu ?
                Quels symboles / espaces / relations tirons nous d’un acte aussi fort ?


Tout projet de « renouveau » ne doit pas faire oublier qu’il ne se suffit pas à lui-même.  L’œuvre est un projet à faire vivre au-delà des formes, et la tentation des gesticulations architecturales et politiques peut être forte. Si toute construction commence par le changement d’un déjà-là, le choix de l’à-venir reste un préalable à la démolition.
Entre ces deux états instables, la ruine se glisse et laisse un sursis à l’œuvre qui continue d’exister par le regard que nous lui accordons et la force poétique qu’elle nous transmet. Nous utilisons parfois ces ruines pour former des espaces « du dernier souffle ». La tour XIII de Paris par exemple, a été entièrement mise à disposition d’artistes de rue, tagueurs, grapheurs, pour composer une œuvre totale. Cet espace, profitant de son statut de couloir de la mort s’est vu offrir une nouvelle liberté comme si l’acceptation de la fin envahissait le lieu, le rendant magique et attractif.


                Démolir est un choix politique et non un choix « par défaut ». Cette décision engage le cadre de vie des habitants, riverains, passants qui en sont indirectement et de manière affective les copropriétaires. Dans l’idéal, le changement de ce que certains nomment le caractère d’un environnement devrait donc être réalisé suivant les valeurs de la république et des procédures démocratiques.        Ce processus semble à première vue difficile localement quand les objectifs de certains programmes tels le Plan National de Rénovation Urbaine[1] (mené par l’ANRU) conditionnent l’attribution de crédits aux démolitions systématiques, en se basant sur des prescriptions idéologiques liées aux formes architecturales et urbaines. Parfois la démolition semble justifiée par l’état d’abandon dans lequel un lieu a été laissé. Cette dépréciation symbolique autant que physique n’est pas sans conséquence sur la qualité de vie des habitants. Existe-t-il des outils qui permettent d’accompagner ou de réduire l’impact parfois brutal de la disparition de lieux porteurs de souvenirs et de pensées, et qui seront demain dans l’attente de nouveaux espoirs ?
                Parler de la démolition, c’est donc évoquer le moment critique d’un cycle (étude - construction – usage – abandon) dont toutes les phases offrent des possibilités de renouveau. De la transformation de la gare d’Orsay en musée au temple d’Ise en passant par la réhabilitation de la tour Bois le Prêtre, certains édifices ont un avenir qui ne passe que partiellement par cet étape et que l’on peut considérer.


L’association BAOBAB s’intéresse de prêt à cette question, pour comprendre dans quelles mesures la démolition est potentiellement porteuse de sens et d’avenir.


[1] http://www.anru.fr/index.php/fre/ANRU/Objectifs-et-fondamentaux-du-PNRU