« Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu
? J’entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme
les autres ; après, il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort : la
nature, presque envieuse du bien qu' elle nous a fait, nous déclare souvent et
nous fait signifier qu' elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de
matière qu' elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et
qui doit être éternellement dans le commerce : elle en a besoin pour d' autres
formes, elle la redemande pour d' autres ouvrages.»
Extrait de
Sermon sur la mort, Oraison
Funèbre, 1662
Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)
Homme d’Eglise – Prédicateur et écrivain français
La destruction a constamment suscité
crainte et peur. Les guerres et conflits ont associé la disparition d’un
édifice à un traumatisme collectif, suscitant des réactions de défense et de
mise à distance des ennemis.
La démolition, acte conscient qui balaie les traces
d’une mémoire collective, quant à elle fait place à un nouvel être-au-monde. Le crédo du développement
durable associé aux volontés politiques actuelles promeut les idées de
transformation plutôt que de dissolution. On assiste alors à des démolitions
commandées et assumées ; autant d’opportunités pour mettre en valeur l’idée de changement. C’est ainsi que
disparaissent des œuvres notables du patrimoine construit dont nous sommes
collectivement dépositaires, comme la halle de Fontainebleau (œuvre de
l’architecte Nicolas Esquillan, 1942) ou les logements de
Courcouronnes (œuvre de Paul Chemetov, 1984).
Pourquoi
sommes nous si attaché à l’environnement que nous créons de toute
pièce ?
Comment
travaille-t-on l’idée de démolir un lieu ?
Quels
symboles / espaces / relations tirons nous d’un acte aussi fort ?
Tout projet de « renouveau » ne doit pas
faire oublier qu’il ne se suffit pas à lui-même. L’œuvre est un projet à faire vivre au-delà
des formes, et la tentation des gesticulations architecturales et politiques
peut être forte. Si toute construction commence par le changement d’un déjà-là,
le choix de l’à-venir reste un préalable à la démolition.
Entre ces
deux états instables, la ruine se glisse et laisse un sursis à l’œuvre qui continue
d’exister par le regard que nous lui accordons et la force poétique qu’elle
nous transmet. Nous utilisons parfois ces ruines pour former des espaces
« du dernier souffle ». La tour XIII de Paris par exemple, a été
entièrement mise à disposition d’artistes de rue, tagueurs, grapheurs, pour
composer une œuvre totale. Cet espace, profitant de son statut de couloir de la
mort s’est vu offrir une nouvelle liberté comme si l’acceptation de la fin
envahissait le lieu, le rendant magique et attractif.
Démolir est un choix politique
et non un choix « par défaut ». Cette décision engage le cadre de vie
des habitants, riverains, passants qui en sont indirectement et de manière
affective les copropriétaires. Dans l’idéal, le changement de ce que certains
nomment le caractère d’un
environnement devrait donc être réalisé suivant les valeurs de la république et
des procédures démocratiques. Ce
processus semble à première vue difficile localement quand les objectifs de
certains programmes tels le Plan National de Rénovation Urbaine[1] (mené
par l’ANRU) conditionnent l’attribution de crédits aux démolitions
systématiques, en se basant sur des prescriptions idéologiques liées aux formes
architecturales et urbaines. Parfois la démolition semble justifiée par l’état
d’abandon dans lequel un lieu a été laissé. Cette dépréciation symbolique
autant que physique n’est pas sans conséquence sur la qualité de vie des
habitants. Existe-t-il des outils qui permettent d’accompagner ou de réduire
l’impact parfois brutal de la disparition de lieux porteurs de souvenirs et de
pensées, et qui seront demain dans l’attente de nouveaux espoirs ?
Parler de la démolition, c’est
donc évoquer le moment critique d’un cycle (étude - construction – usage –
abandon) dont toutes les phases offrent des possibilités de renouveau. De la
transformation de la gare d’Orsay en musée au temple d’Ise en passant par la
réhabilitation de la tour Bois le Prêtre, certains édifices ont un avenir qui
ne passe que partiellement par cet étape et que l’on peut considérer.
L’association BAOBAB s’intéresse de prêt à cette
question, pour comprendre dans quelles mesures la démolition est
potentiellement porteuse de sens et d’avenir.