Lucille Hugon nous fait part de son expérience d'avocate au service des demandeurs d'asile dont les revendications sont multiformes et multiscalaires. Son témoignage met en valeur l'apparition d'une situation ambigüe pour le réfugié: il a des raisons fortes de revendiquer mais une situation précaire qui le pousse à davantage à la retenue. Les manifestations dans l'espace public de ces populations mettent alors en lumière l'imbrication et la multiplicité de leur revendications, parfois en décalage avec le contexte dans lesquelles elles s'insèrent.
Photo de Fabien Cottereau parue dans le Sud Ouest du 18 11 2012 |
Propos rapportés du DEBAOBAB #03 Lieux, Peuples et Revendications du 12/12/12
« Je travaille beaucoup en
matière de droit d’asile c’est-à-dire que je défends des gens devant la cour
nationale du droit d’asile. Cette cour décide d’accorder ou non la protection à
des personnes étrangères qui viennent en France en expliquant qu’elles ont des
risques en cas de retour dans leur pays d’origine.
Pour restituer les choses dans
leur contexte, la France a signé une convention internationale, appelée la
convention de Genève, qui protège les réfugiés. Les réfugiés sont des personnes
persécutées dans leur pays d’origine en raison de leur race, de leur
nationalité, de leur opinion politique, de leur religion ou de leur
appartenance à un groupe social. Par exemple, les personnes homosexuelles
persécutées en tant que personnes homosexuelles, ou des femmes qui vont
s’élever contre un mariage forcé, vont constituer des groupes sociaux. C’est
également une forme de revendication.
Mon travail est de défendre ces
gens-là qui disent avoir des craintes dans leur pays d’origine et qui demandent
la protection de la France. Les gens à qui on a à faire dans ce cadre là, sont
des gens qui ont revendiqué dans leur pays d’origine, que ce soit de façon
politique ou syndicaliste, mais aussi des luttes contre des systèmes en place.
Je pense notamment à une personne qui a lutté contre le trafic d’armes en
Ukraine, il s’est opposé à un système, à une mafia. C’est ce type de personnes
que l’on va défendre. Ce sont des personnes qui revendiquaient chez eux et qui
arrivent ici parce qu’ils étaient persécutés en raison de leurs revendications.
Comment ces personnes là peuvent
continuer une revendication qu’elles ont commencée dans leur pays d’origine ici
en France ? Dans quels espaces ? Avec quels droits ? Quelles
possibilités ?
La procédure de demande d’asile aboutit à un statut de
réfugié et donc à un titre de séjour en France. Cette période d'attente est
très longue. Elle peut aller de 8 mois à plusieurs années, la moyenne étant 2
ans. Pendant ce laps de temps, généralement, ces personnes vont être en
situation d’attente de papiers. Il arrive que les demandeurs d’asile n’ose pas
se faire remarquer en France par peur de ne pas obtenir leurs papiers. Ces
personnes sont également dans des situations extrêmement difficiles notamment
au niveau du logement, ou pris dans des réseaux car ils doivent rembourser une
dette à laquelle ils sont tenus.
Une fois que la personne a un titre de séjour, elle est
reconnue comme persécutée dans son pays d’origine parce qu’elle avait tel ou
tel combat, ou qu’elle faisait partie de telle ou telle ethnie, elle obtient une
protection pour 1an, pour 10 ans … selon les situations. Deux cas se distinguent. Dans le premier, les
personnes s’installent en France et à partir de ce moment là, elles sont
intégrées puisqu’elles s’établissent physiquement et légalement sur le
territoire français. Dans le second cas, et
il y en a beaucoup, notamment les militants politiques dans leur pays, vont
continuer une militance politique à l’extérieur de leur pays d’origine pour ce
pays d’origine. Je pense notamment aux guinéens qui se sont organisés en France
pour réaliser un coup d’Etat et reprendre le pouvoir en Guinée.
Il y a des communautés extrêmement politisées qui continuent
un travail de revendications très fort en France. Et il y a d’autres personnes
qui, au contraire, ont subi des persécutions telles, qu’elles n’ ont qu’une
envie, celle de tourner la page.
Sur la revendication, il y a
quelque chose qui est important, c’est le laps de temps où les personnes sont
en situation de précarité lorsqu’elles attendent le résultat de leur demande
d’asile. Dans ce cadre là, il y a des formes de revendications qui ont émergées. Il y a des demandeurs d’asile
qui ont revendiqué un droit à un hébergement digne, un droit à être reçu dans des conditions
d’accueils dignes. Ca c’est passé notamment à Bordeaux, il n’y a pas si
longtemps. L’année dernière, la préfecture a stoppé les budgets pour l’accueil
des demandeurs d’asile. A ce moment là,
les demandeurs d’asile se sont organisés, ils
ont manifesté avec le soutien de réseaux civils sur la ville Bordeaux. Il
y a eu cette forme de revendication, de prise de l’espace public. Et comment l’ont-ils faite ? Ils se sont
montrés place Meunier et ils ont aussi organisé une manifestation place Pey- Berland. Ça c’est un exemple de revendication en tant que demandeur d’asile. »
Lucille Hugon
Avocate, spécialisée dans le
droit des étrangers