dimanche 28 avril 2013

"Ils se sont montrés"

Lucille Hugon nous fait part de son expérience d'avocate au service des demandeurs d'asile dont les revendications sont multiformes et multiscalaires. Son témoignage met en valeur l'apparition d'une situation ambigüe pour le réfugié: il a des raisons fortes de revendiquer mais une situation précaire qui le pousse à davantage à la retenue. Les manifestations dans l'espace public de ces populations mettent alors en lumière l'imbrication et la multiplicité de leur revendications, parfois en décalage avec le contexte dans lesquelles elles s'insèrent.

Photo de Fabien Cottereau parue dans le Sud Ouest du 18 11 2012


Propos rapportés du DEBAOBAB #03 Lieux, Peuples et Revendications du 12/12/12

« Je travaille beaucoup en matière de droit d’asile c’est-à-dire que je défends des gens devant la cour nationale du droit d’asile. Cette cour décide d’accorder ou non la protection à des personnes étrangères qui viennent en France en expliquant qu’elles ont des risques en cas de retour dans leur pays d’origine.

Pour restituer les choses dans leur contexte, la France a signé une convention internationale, appelée la convention de Genève, qui protège les réfugiés. Les réfugiés sont des personnes persécutées dans leur pays d’origine en raison de leur race, de leur nationalité, de leur opinion politique, de leur religion ou de leur appartenance à un groupe social. Par exemple, les personnes homosexuelles persécutées en tant que personnes homosexuelles, ou des femmes qui vont s’élever contre un mariage forcé, vont constituer des groupes sociaux. C’est également une forme de revendication.

Mon travail est de défendre ces gens-là qui disent avoir des craintes dans leur pays d’origine et qui demandent la protection de la France. Les gens à qui on a à faire dans ce cadre là, sont des gens qui ont revendiqué dans leur pays d’origine, que ce soit de façon politique ou syndicaliste, mais aussi des luttes contre des systèmes en place. Je pense notamment à une personne qui a lutté contre le trafic d’armes en Ukraine, il s’est opposé à un système, à une mafia. C’est ce type de personnes que l’on va défendre. Ce sont des personnes qui revendiquaient chez eux et qui arrivent ici parce qu’ils étaient persécutés en raison de leurs revendications.

Comment ces personnes là peuvent continuer une revendication qu’elles ont commencée dans leur pays d’origine ici en France ? Dans quels espaces ? Avec quels droits ? Quelles possibilités ?

La procédure de demande d’asile aboutit à un statut de réfugié et donc à un titre de séjour en France. Cette période d'attente est très longue. Elle peut aller de 8 mois à plusieurs années, la moyenne étant 2 ans. Pendant ce laps de temps, généralement, ces personnes vont être en situation d’attente de papiers. Il arrive que les demandeurs d’asile n’ose pas se faire remarquer en France par peur de ne pas obtenir leurs papiers. Ces personnes sont également dans des situations extrêmement difficiles notamment au niveau du logement, ou pris dans des réseaux car ils doivent rembourser une dette à laquelle ils sont tenus.

Une fois que la personne a un titre de séjour, elle est reconnue comme persécutée dans son pays d’origine parce qu’elle avait tel ou tel combat, ou qu’elle faisait partie de telle ou telle ethnie, elle obtient une protection pour 1an, pour 10 ans … selon les situations. Deux cas  se distinguent. Dans le premier, les personnes s’installent en France et à partir de ce moment là, elles sont intégrées puisqu’elles s’établissent physiquement et légalement sur le territoire français. Dans le second cas, et  il y en a beaucoup, notamment les militants politiques dans leur pays, vont continuer une militance politique à l’extérieur de leur pays d’origine pour ce pays d’origine. Je pense notamment aux guinéens qui se sont organisés en France pour réaliser un coup d’Etat et reprendre le pouvoir en Guinée.

Il y a des communautés extrêmement politisées qui continuent un travail de revendications très fort en France. Et il y a d’autres personnes qui, au contraire, ont subi des persécutions telles, qu’elles n’ ont qu’une envie, celle de tourner la page.

Sur la revendication, il y a quelque chose qui est important, c’est le laps de temps où les personnes sont en situation de précarité lorsqu’elles attendent le résultat de leur demande d’asile. Dans ce cadre là, il y a des formes de revendications qui ont émergées. Il  y a des demandeurs d’asile qui ont revendiqué un droit à un hébergement digne,  un droit à être reçu dans des conditions d’accueils dignes. Ca c’est passé notamment à Bordeaux, il n’y a pas si longtemps. L’année dernière, la préfecture a stoppé les budgets pour l’accueil des demandeurs d’asile. A  ce moment là, les demandeurs d’asile se sont organisés, ils  ont manifesté avec le soutien de réseaux civils sur la ville Bordeaux. Il y a eu cette forme de revendication, de prise de l’espace public.  Et comment l’ont-ils faite ? Ils se sont montrés place Meunier et ils ont aussi organisé une manifestation place Pey- Berland. Ça c’est un exemple de revendication en tant que demandeur d’asile. »

Lucille Hugon
Avocate, spécialisée dans le droit des étrangers