Les stéréotypes sont des
représentations sociales standardisées qui catégorisent de manière rigide et persistante
tel ou tel groupe humain. En proposant une grille de lecture simplificatrice basée
sur des a priori, ils déforment et appauvrissent la réalité sociale. Les
stéréotypes sexués fonctionnent selon deux modes: l’accentuation de la
différence entre les deux groupes sociaux femmes/hommes (binarité absolue) et
l’uniformisation à l’intérieur de chaque groupe (la femme, l’homme). Les
stéréotypes impliquent la normalisation des rôles sexués : qu’est-ce qu’être
une fille, qu’est-ce qu’être un garçon. Les femmes et les hommes qui ne s’y
conforment pas sont considérés comme « déviants ». Le sexisme est le processus
de hiérarchisation des deux classes sexuelles ainsi obtenues, instaurant
l’inégale valeur entre le groupe des femmes et celui des hommes (la domination
masculine). Appartenir au groupe des hommes est plus valorisé.
Le détour par les stéréotypes
amène une sorte de transparence, un éclairage sur la question des inégalités
femmes/hommes. Car en réalité, il n’y a pas d’évidence « naturelle ». Un bébé
fille, ça s’habille en rose, ça porte des robes... La distinction par
l’habillement est primordiale parce qu’il est difficile (voire impossible)
d’attribuer au premier regard un sexe à un nourrisson dont on ne voit pas les
parties génitales. Premier stéréotype de classement, l’habillement est un
marqueur fort de l’appartenance sexuelle qui va traverser toute la vie, toutes
les cultures, toutes les classes sociales.
Le vêtement habille le
corps de l’homme et de la femme, un corps avec des seins et un corps
sans seins. Des grandes tailles, des petites tailles, des enrobé(e)s, des
minces, des grands pieds, des petits pieds : une multitude de différences
anatomiques. L'habillement est par ailleurs régi par des codes ; et ces codes
sont soumis au genre. Des accessoires sont parfois utiles pour renforcer
l’appartenance et la construction identitaire sexuée normée (des sacs à mains,
des bijoux, du parfum etc.). Le vêtement a pour fonction de distinguer la femme
de l’homme, mais pas, par exemple, les grands des petits, les forts des minces.
La mode uniformise en classant d’un côté les hommes, et de l’autre les femmes.
Alors qu’en est-il de la transgression? Peut-on être « hors norme de genre » et
à quel prix ? Au sens du dictionnaire, travestir, c’est déguiser quelqu'un en lui faisant
prendre les vêtements d'un autre sexe, d'une autre condition : travestir un homme en femme. C’est adopter les habitudes vestimentaires et
sociales du sexe opposé. Aujourd’hui encore, un homme habillé en
robe est un travesti; ce n’est pas un homme habillé en robe.
L’illustration d’un
système social basé sur le genre à travers le vêtement, nous amène à nous
interroger plus largement sur le vêtement
social et la question du libre choix
dans ce système de contraintes. Elle se pose par exemple dans le loisir des
jeunes: les adolescents et les adolescentes peuvent-ils faire le choix d’une
activité conforme à leurs attentes, leurs souhaits, ou font-ils ce choix en
conformité avec les attentes normatives liées à leur sexe biologique ? Et à
l’inverse, choisir de faire du rugby quand on est une fille ou de danser quand
on est un garçon, est-ce le processus d’un travestissement ?
C’est
le cas également toutes les fois où on pose la question de la tenue « correcte
» exigée pour une femme. Ce que les féministes appellent « la longueur de la
jupe ».
Un fait divers survenu en novembre
2012 à Bruxelles a déclenché nombre de réactions sur cette question. Un
étudiant scolarisé à la Hogeschool Universiteit Brussel, « déguisé » en fille,
rentrant d’une fête, a été violé par deux jeunes garçons mineurs qui l’avaient
pris pour une « vraie » fille. Le directeur a réagi en interdisant aux garçons
de s’habiller en fille. La responsabilité de l’étudiant agressé était donc
engagée: il n’aurait pas dû se vêtir comme une fille. Mais les filles, elles,
n’ont pas d’autre choix que « d’être habillées » en fille. Quelles sont leurs alternatives
? Se donner toutes l’apparence d’un homme ? Ne plus sortir parce qu’on est de
sexe féminin ? Une partie des experts, sociologues, criminologues, s’érigent
contre la décision de ce directeur, en expliquant qu’il aurait été plus
pertinent de rappeler la liberté de chacun à se déguiser. Là encore, l’argument
interroge. Est-ce que c’est le fait d’être déguisé qui est déterminant dans
cette agression ? N’est-ce pas plutôt le fait d’être « pris » pour une fille ?
Devant cette avalanche de réactions, la direction de l’école parle désormais de
conseil plutôt que d’interdiction, et dit avoir agi en bon père de famille pour
assurer la sécurité des étudiants. Mais quid de la sécurité des étudiantes ?
Une société démocratique peut-elle souscrire à une tenue correcte exigée afin
de se prémunir contre l’agression sexuelle de la part de certains individus de
sexe masculin qui la composent ?
Le vêtement est soumis à une convention
genrée. Cette convention, fondée sur le sexisme qui décide de l’habit et du
comportement, influence également la parole et toutes les relations entre les
êtres humains.
Ne pas être
conforme, c’est se travestir.
Edith Maruejouls, géographe et créatrice de l'ARObe*
* Edith
Maruéjouls est géographe du genre et créatrice du bureau d’études l’ARObE (Atelier
Recherche Observatoire Egalité). L’ARObE accompagne les collectivités et les
entreprises dans la définition et la mise en œuvre conjointe d’une politique
publique intégrée d’égalité. Le bureau d'études se propose de construire une
offre sur mesure qui répond aux besoins et s'adapte en fonction des territoires
et des objectifs visés. De la sensibilisation à une démarche d'observatoire en
passant par des ateliers expérimentaux, l'ARObE développe une démarche
concertée et co-construite de l’égalité. Depuis 2010, il accompagne l’école du
Peyrouat à Mont-de-Marsan pour la mise en place d’un projet égalitaire en
milieu scolaire. Mis en place avec l'équipe enseignante, les parents et les
élèves, il a pour objectif de reconfigurer l’espace de la cour de récréation et
à développer des démarches de mixité active (travail sur les stéréotypes et
lutte contre le sexisme).