lundi 12 janvier 2015

DEBAOBAB #7 : Qu’est-ce qu’être une fille, qu’est-ce qu’être un garçon ? - Edith Maruéjouls






Les stéréotypes sont des représentations sociales standardisées qui catégorisent de manière rigide et persistante tel ou tel groupe humain. En proposant une grille de lecture simplificatrice basée sur des a priori, ils déforment et appauvrissent la réalité sociale. Les stéréotypes sexués fonctionnent selon deux modes: l’accentuation de la différence entre les deux groupes sociaux femmes/hommes (binarité absolue) et l’uniformisation à l’intérieur de chaque groupe (la femme, l’homme). Les stéréotypes impliquent la normalisation des rôles sexués : qu’est-ce qu’être une fille, qu’est-ce qu’être un garçon. Les femmes et les hommes qui ne s’y conforment pas sont considérés comme « déviants ». Le sexisme est le processus de hiérarchisation des deux classes sexuelles ainsi obtenues, instaurant l’inégale valeur entre le groupe des femmes et celui des hommes (la domination masculine). Appartenir au groupe des hommes est plus valorisé.


Le détour par les stéréotypes amène une sorte de transparence, un éclairage sur la question des inégalités femmes/hommes. Car en réalité, il n’y a pas d’évidence « naturelle ». Un bébé fille, ça s’habille en rose, ça porte des robes... La distinction par l’habillement est primordiale parce qu’il est difficile (voire impossible) d’attribuer au premier regard un sexe à un nourrisson dont on ne voit pas les parties génitales. Premier stéréotype de classement, l’habillement est un marqueur fort de l’appartenance sexuelle qui va traverser toute la vie, toutes les cultures, toutes les classes sociales.

Le vêtement habille le  corps de l’homme et de la femme, un corps avec des seins et un corps sans seins. Des grandes tailles, des petites tailles, des enrobé(e)s, des minces, des grands pieds, des petits pieds : une multitude de différences anatomiques. L'habillement est par ailleurs régi par des codes ; et ces codes sont soumis au genre. Des accessoires sont parfois utiles pour renforcer l’appartenance et la construction identitaire sexuée normée (des sacs à mains, des bijoux, du parfum etc.). Le vêtement a pour fonction de distinguer la femme de l’homme, mais pas, par exemple, les grands des petits, les forts des minces. La mode uniformise en classant d’un côté les hommes, et de l’autre les femmes. Alors qu’en est-il de la transgression? Peut-on être « hors norme de genre » et à quel prix ? Au sens du dictionnaire, travestir, c’est déguiser quelqu'un en lui faisant prendre les vêtements d'un autre sexe, d'une autre condition : travestir un homme en femme. C’est adopter les habitudes vestimentaires et sociales du sexe opposé. Aujourd’hui encore, un homme habillé en robe est un travesti; ce n’est pas un homme habillé en robe.

L’illustration d’un système social basé sur le genre à travers le vêtement, nous amène à nous interroger plus largement sur le vêtement social et la question du libre choix dans ce système de contraintes. Elle se pose par exemple dans le loisir des jeunes: les adolescents et les adolescentes peuvent-ils faire le choix d’une activité conforme à leurs attentes, leurs souhaits, ou font-ils ce choix en conformité avec les attentes normatives liées à leur sexe biologique ? Et à l’inverse, choisir de faire du rugby quand on est une fille ou de danser quand on est un garçon, est-ce le processus d’un travestissement ?

 C’est le cas également toutes les fois où on pose la question de la tenue « correcte » exigée pour une femme. Ce que les féministes appellent « la longueur de la jupe ».

Un fait divers survenu en novembre 2012 à Bruxelles a déclenché nombre de réactions sur cette question. Un étudiant scolarisé à la Hogeschool Universiteit Brussel, « déguisé » en fille, rentrant d’une fête, a été violé par deux jeunes garçons mineurs qui l’avaient pris pour une « vraie » fille. Le directeur a réagi en interdisant aux garçons de s’habiller en fille. La responsabilité de l’étudiant agressé était donc engagée: il n’aurait pas dû se vêtir comme une fille. Mais les filles, elles, n’ont pas d’autre choix que « d’être habillées » en fille. Quelles sont leurs alternatives ? Se donner toutes l’apparence d’un homme ? Ne plus sortir parce qu’on est de sexe féminin ? Une partie des experts, sociologues, criminologues, s’érigent contre la décision de ce directeur, en expliquant qu’il aurait été plus pertinent de rappeler la liberté de chacun à se déguiser. Là encore, l’argument interroge. Est-ce que c’est le fait d’être déguisé qui est déterminant dans cette agression ? N’est-ce pas plutôt le fait d’être « pris » pour une fille ? Devant cette avalanche de réactions, la direction de l’école parle désormais de conseil plutôt que d’interdiction, et dit avoir agi en bon père de famille pour assurer la sécurité des étudiants. Mais quid de la sécurité des étudiantes ? Une société démocratique peut-elle souscrire à une tenue correcte exigée afin de se prémunir contre l’agression sexuelle de la part de certains individus de sexe masculin qui la composent ?

Le vêtement est soumis à une convention genrée. Cette convention, fondée sur le sexisme qui décide de l’habit et du comportement, influence également la parole et toutes les relations entre les êtres humains.

Ne pas être conforme, c’est se travestir.
 
Edith Maruejouls, géographe et créatrice de l'ARObe*


* Edith Maruéjouls est géographe du genre et créatrice du bureau d’études l’ARObE (Atelier Recherche Observatoire Egalité). L’ARObE accompagne les collectivités et les entreprises dans la définition et la mise en œuvre conjointe d’une politique publique intégrée d’égalité. Le bureau d'études se propose de construire une offre sur mesure qui répond aux besoins et s'adapte en fonction des territoires et des objectifs visés. De la sensibilisation à une démarche d'observatoire en passant par des ateliers expérimentaux, l'ARObE développe une démarche concertée et co-construite de l’égalité. Depuis 2010, il accompagne l’école du Peyrouat à Mont-de-Marsan pour la mise en place d’un projet égalitaire en milieu scolaire. Mis en place avec l'équipe enseignante, les parents et les élèves, il a pour objectif de reconfigurer l’espace de la cour de récréation et à développer des démarches de mixité active (travail sur les stéréotypes et lutte contre le sexisme).


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