Depuis quelques décennies maintenant la
géographie s’intéresse aux sexualités. La réciproque est également valable.
Ainsi, la recherche de partenaires tient compte de plus en plus de la position
géographique. Jean François Staszack et Frédéric Giroud (2013) l’expliquent. La
proximité devient un critère dans les rencontres. Le fantasme, lorsqu'il
s'inscrit dans notre proximité géographique, s'ancre davantage dans le réel.
C’est en ce sens que de nouveaux dispositifs de rencontre se déploient depuis
quelques années. Les applications pour smartphone destinées aux rencontres gays
ont été pionnières dans ce domaine avec, notamment, l’application Grindr, créée
en 2009. Cette application utilise la géolocalisation pour situer dans l’espace
son utilisateur et présenter par ordre croissant d’éloignement les autres
usagers. Ce type de dispositif relève d’une géographie cybernétique dans
laquelle l’utilisateur devient le centre du monde. Par le passé, la drague
était une affaire de phénoménologie; aujourd’hui, il s’agit davantage d’un
cahier des charges dans lequel on coche les rubriques qui nous intéressent. De
plus, à l’inverse des sites de rencontre, les applications comme Grindr (depuis
son incroyable succès, une myriade d’entre-elles ont vu le jour) se veulent
mobiles (Alessandrin, 2013) pour sortir leurs utilisateurs de la stabilité du
quotidien (Thévenin, 2013).
Si l’utilisateur laisse fonctionner son
application de rencontre depuis son domicile, il va vite se lasser de voir seulement
les autres utilisateurs qui habitent près de chez lui. En revanche, chaque
déplacement dans l’espace public devient une possibilité de découvrir des
utilisateurs inconnus et des partenaires sexuels potentiels. Qu’ils soient en
déplacement à travers un quartier, dans une ville, dans un pays, pour le
travail ou pour des vacances, l’actualisation des applications est devenue un
réflexe pour les usagers. Des enquêtés à Paris disent faire des balades de
repérage. Ils sillonnent les arrondissements pour voir qui serait disponible
pour une rencontre. Le déplacement dans la ville se transforme en un voyage
érotique dans lequel chaque nouvelle rue contient la promesse d’une rencontre.
Les applications développent une érogénéité cybernétique de l’espace urbain,
qui devient un terrain de jeu dans son ensemble. La dérive des situationnistes
(Debord, 1956) connait alors une version 2.0, alliant la "sérendipité"
(Lévy, 2004) et le ludisme érotique de la ville par le prisme des nouvelles
technologies.
Jusqu’à peu, nous pensions l’érotisme
comme un élément inscrit dans la durée. Le moment avant l’acte sexuel possédait
une véritable force d’excitation. Aujourd’hui, ce qui est souvent recherché
c’est le now, l’assouvissement de l’envie au moment de l’envie, la
relation sexuelle sans engagement (Cattan et Leroy, 2013). L’autre devient un
objet sexuel correspondant à nos désirs. Les profils sont optimisés pour ne pas
perdre de temps dans les échanges préliminaires. Une photo, l’envie, le
déplacement et le concept du now
défrichent grandement un dialogue pas
très clair. Toutes les informations importantes étant affichées sur le profil
utilisateur, il ne reste que les détails pratiques à régler. Il y a un vrai
refus d'investissement et de partage autre que physique, du moins avant
l’interaction sexuelle.
Les grandes villes constituent depuis
longtemps une sorte d’Eldorado pour les homosexuels, notamment masculins
(Aldrich, 2006, Eribon, 1999, Leroy, 2009). Le nombre de partenaires sexuels
potentiels s'y est multiplié, jusqu’à donner une dimension érotique, voire
érogène, à l’espace urbain dans son ensemble (Bell, 2001). Les applications, en
tant qu’outils géographiques générateurs de mobilité, permettent aux gays
d’avoir une pratique utilitaire et rationnelle de l’espace public tout en
développant le potentiel érogène de la ville.
Denis TRAUCHESSEC, doctorant en géographie, université d'Angers