Le titre provocateur "Image, Mensonge et Fantasme" donné
pour le troisième cycle des BAOBAB Cafés est vite tombé: il n'y a pas
d'images sans faux semblants. Quand il a été proposé, nous avions en
tête les centaines de projets dont nous sommes abreuvés à
travers magazines, sites, blogs, newsletters, conférences, publications
et vidéos et dont la Prolifération semble être une constante de l'ère
numérique.
Source: Plataforma Arquitectura, Agence VYONYX |
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Ce
flot d'images parfois réalistes, parfois truquées, souvent embellies
mets parfois mal à l'aise en réveillant la méfiance issue d'une
surexposition à la Publicité et au marketing. Dans ces conditions
comment ne pas comparer la communication d'architecture à celle d'un
produit ? La position de l'architecte semble ambiguë car son éthique se
confronte à un système de production contraint issue d'un modèle
économique qu'il ne cautionne pas forcément. Il faut pourtant
reconnaître que d'autres professions sont concernées par les contraintes
d'un format d'expression ou confrontées au défi d'exister dans un
paysage médiatique concurrentiel.
Sous
ces pressions, l'architecture n'aurait-elle pas changé de Statut,
passant d'objet culturel à celui d'objet de consommation ? ''L'effet
Bilbao'',c'est à dire l'utilisation de l'impact médiatique d'un projet
pour lui donner une légitimité formelle et justifiant parfois le recours
à des architectures "bruyantes" nous y fait penser.. (Denver Art Museum
- Daniel Libeskind) Dans ce système, "l'image" renvoyée par le bâtiment
serait aussi importante que le bâtiment en lui- même. Et le recours à
des architectes-stars serait une sorte de caution qui rendrait une
architecture exceptionnelle acceptable. La durée de vie d'une architecture
se réduirait-elle à la permanence de son impact sur nos mémoires et de
sa visibilité dans les médias ?
Peut-être
internet impose-t-il une nouvelle Temporalité ? Nous aurions accès à de
plus en plus de projets, tout aussi vite oubliés. A bien y penser,
combien d'édifices ont-ils rejoints le cimetière de nos mémoires et
combien sont ceux à nous avoir vraiment touchés ? Voici quelques axes de
réponse apparus au cours de la discussion pour essayer de comprendre:
quelle place l'image peut tenir dans le champs de l'architecture
aujourd'hui.
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L'image,
formidable outil de médiatisation marque par sa force et son caractère,
elle facilite la compréhension et la communication du projet. Elle
rends accessible une vision en trois dimensions en synthétisant la
façade, la coupe, le plan. Dans un même temps elle nous éloigne de ces
documents techniques qui conservent leur pertinence. Une des forces de
l'image comme vecteur principal du projet serait donc d'ouvrir au grand
public une discipline spécialisée.
Cette
nouvelle donne oblige l'architecte à clarifier son propos, ses
intentions, sa philosophie s'il ne veut pas que la forme d'Expression
l'emporte sur le sens de son discours. L'image au sens large relève donc
d'une opportunité pour ceux qui sauront l'utiliser. Dans ce sens, si
l'image rend plus accessible l'architecture, sa production est rendue
plus accessible grâce à de nouveaux outils. Ceux qui s'en saisissent
marquent les esprits par des réalisations plus ou moins virtuelles
(Nox), et produire l'image devient autrement plus accessible que la
construction physique de l'édifice ! L'image porte le projet au long du
processus d'élaboration. Elle supporte l'espoir de voir le projet se
construire un jour. Toute une tradition de "l'architecture de papier" de
Etienne Louis Boullée à Fritz Lang se retrouve ici et l’essor
d'internet apporte une nouvelle dimension à sa diffusion. (Voir les
vidéos de Bertrand Benoit).
D'ailleurs,
internet a besoin de l'image à la fois parce que la publicité est à la
base de son modèle économique mais aussi parce qu'elle rend son
environnement Attractif. Web magazines et autres blogs spécialisés sur
les questions d'architectures sont dans la même logique de
renouvellement perpétuel de leur offre visuelle. Et nous pouvons
supposer qu'un tel système favorise la sur-représentation
d'architectures sensationnelles dont les dernières tours de MVRDV à Séoul
en sont l'exemple.
Une
donnée centrale est que l'image doit plaire ou tout du moins
surprendre; et à travers elle l'architecte cherche à toucher les sens.
(Concours de Big en Alaska) Il faut donc faire appel à des travailleurs
spécialisés pour les réaliser comme les graphistes ou les web designers.
Et quand de jeunes architectes se saisissent de ces outils pour financer
leurs activités d'architectures, ils développent du même coup un Avantage concurrentiel indéniable.
Voici
quelques types d'images que nous avons distingué dans la production
actuelle, vous en trouverez d'autres et le sujet mérite une étude
comparative approfondie mais souvent, image et architecture se fondent
en une évocation, une ambiance, un rêve qui laisse au spectateur le
loisir d'imaginer ce qui lui convient comme ici dans une image de
l'agence Juraj Talcik.
Source: Plataforma Arquitectura, Juraj Talcik |
Dans d'autres cas, comme dans ce travail de
MOTYW, le réalisme est tel que les éléments virtuels disparaissent .
Source: Plataforma Arquitectura, Atelier MOTYW |
Une
troisième posture singulière utilise des procédés narratifs comme
l'humour ou la surprise à la manière de cette production de Dbox qui
donne à penser que l'espace représenté serait adapté à la vie des
enfants grâce à un décalage des repères habituels et une note d'humour.
Source: Plataforma Arquitectura,Agence Dbox |
Par
ailleurs, les images portent des débats propres à l'architecture; parmi
eux on trouve le besoin de "coller" à la réalité ou l'envie d'exprimer
les contraintes dites "naturelles" (la gravité, la lumière, les matières
...) Elles véhiculent aussi des postures sociales et politiques que les
documents "techniques" laissent difficilement Transparaître. Elles
peuvent, au delà du sensationnel, jouer un rôle central dans un discours
critique éventuel en offrant un immense panel de signes.
L'utilisation
de l'image en architecture supporterait donc trois objectifs essentiels:
convaincre, séduire et transmettre. Entre ethos et pathos, il ne faudrait pas
que l'architecture s'égare et son Message se perde. Pour cela, encore
faudrait-il que nous apprenions à lire les signes de cette Guerre du Faux [1]
dont nous ne percevons que la surface. Ce serait alors l'occasion de parler d'architecture autrement qu'à partir d'images.
Il rester à étudier
l'impact sur le processus de projet et sur l'objet architectural d'une
"image" devenue omniprésente. Car ne soyons donc pas dupe, s'arrêter à
l'image ce serait oublier l'architecture
Sur la base des Baobab Cafés,
Vincent Milla
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[1] Ouvrage d'Umberto Eco, La Guerre du faux, Grasset, 2008