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Une image, qu’elle soit physique (croquis, peinture, etc.) ou numérique (image de synthèse), reste une production humaine issue d’une représentation mentale. En architecture, elle renvoi directement à la représentation, principale outil autonome de cognition du concepteur. Cet acte créatif est essentiel dans toutes les phases de conception puisqu’il s’agit du seul moyen hormis le Discours écris et oral de projeter sa pensée afin de communiquer avec les autres. Représenter devient alors un besoin naturel.
Phénomène culturel, économique et social de notre société, l’image ne peut se joindre à la notion de mensonge que si elle se lie à celle de la vérité. Or, la notion de vérité architecturale est facilement assimilable à un système académique.
Le débat de ces dernières semaines a mis en avant la relation, devenue logique, que nous faisons tous entre image(s) et ordinateur. Son interprétation est directement liée à l’outil informatique, composant primaire définissant son unité de mesure: le Pixel
Alors existe t’il une technophobie liée au dessin assisté par ordinateur et à la conception assistée par ordinateur ? N’avons nous pas l’impression d’être tolérants et d’accorder plus de légitimité, de « vérité », voir même plus de moralité à un croquis qu’à une image virtuelle issue de la DAO-CAO ?
Rappelons qu’après le passage de la société traditionnelle à la société de consommation (concentrée autour de l’information et des capacités de stockage des informations), l’invention de l’ordinateur a suscité une rupture épistémologique. Selon l’architecte / ingénieur Antoine Picon1, ce changement brutal est assimilable aux recherches et découvertes de la Psychanalyse, selon lesquelles l’individu s’apparente à une machine psychique que l’on peu mécaniquement identifier et analyser. Ces nouveaux modes de penser ont conduit l’Homme à s’imaginer plus efficace aux moyens d’une meilleure Interface (ce qui correspond dans le domaine de la science fiction à la naissance du Cyborg) et ont, de ce fait, propulsés les environnements informatisés. Ce nouvel espace virtuel, perceptible sur un écran, a crée une nouvelle forme d’image : l’interface.
Le phénomène des interfaces ou le " phénomène écran " a généré un nouveau type d’espace, un espace perçu du dehors2. En effet, la relation entre corps et espace se trouve complètement transformée. Le corps se retrouve désincarné, sans corps propre, sans chaire dans un espace virtuel (le début du WEB) ou l’interface devient l’élément indispensable.
Parallèlement, la diffusion de l’électronique a rendu la machine nécessaire dans tous les domaines et a largement séduit les concepteurs, tant pour des besoins pratiques (quantité d’informations, prise en compte de paramètres jusque là inexploités) qu’économiques (rentabilité). Ils se sont ainsi engouffrés dans l’utilisation massive de l’outil informatique dans le but de communiquer, puis de conceptualiser, laissant bien souvent de coté certaines techniques de dessins manuelles.
Même si l’avènement de l’outil numérique tends vers une architecture au Désir de profondeur ou flux et diagrammes influencent les formes et complexités d’usages, on s’aperçoit que la logique d’aplatissement traduit un intérêt pour la surface : le superficiel. Si les technologies numériques ont permis de rendre plus perceptible toutes les dimensions, elles ont un effet inverse qui introduit la surface au centre des débats. La peau devient l’élément le plus important alimentant ainsi le débat tant sur la crise de l’échelle que la crise structurelle que subie actuellement la scène architecturale. La séduction des surfaces, véritable épiderme du projet passe donc par la séduction de l’image.
Considérée comme un outil de contrôle et d’aliénation par Michel Foucault1, la Séduction de l’image fait directement appel a une esthétisation de la vie, donc à une illusion de liberté. Eblouir, impressionner, en mettre plein la vue ne sont certainement pas des données numériques mais bel et bien humaines.
Si l’ordinateur permet de manipuler, de créer et de justifier beaucoup de choses, l’égal de l’Homme peut s’en saisir pour manipuler idéologies et Fantasmes. Autrement dit l’image n’est à priori qu’un support mais les concepteurs, les faiseurs d’images ont une responsabilité grandissante. Il nous arrive de jeter facilement la pierre sur les '' imagistes '' ces doux rêveurs qui ne fond que réagir à la culture numérique, celle-ci même, qui oriente et influence nos conduites ainsi que la représentation que l’on se fait du monde. De ce fait, on ne peut ignorer l’impact des images sur la construction de ceux qui les subissent.
Enfin, il est logique que l’image ait fini par être associée à un objet de marketing. L’architecte / urbaniste Alain Guiheux, nous prévient de ce changement brutal qui selon lui ''a fait migrer l’architecture dans un domaine plus large ou se retrouve tous les objets fabriqués que nous construisons depuis ces 60- 80 dernières années. Le projet se retrouve progressivement vers le désir de consommable 3'' , ou l’architecture ferait désormais partie d’un domaine plus général, plus palpable, appelé design d’objet 4 dont les images seraient considérées comme un Produit.
L’architecture devient ainsi un objet de distraction, et l’image quant à elle est le moyen de séduction utilisé par les concepteurs pour nous distraire et exciter nos sens. Face à cette surabondance d’images "produits" qui caractérisent bien la diffusion de l’architecture contemporaine, on se rend compte que la plupart des concepteurs sont obligés, afin de survivre, de "se mentir" ou au moins de passer outre leur éthique pour produire non plus une architecture mais une image d’architecture laissant, avec plus ou moins de regrets, tomber le crayon pour une interface Virtuel.
L’outil informatique a sa place dans le métier et il est presque impossible de s’en décharger. Cependant il faut être conscient de l’importance d’une excellente formation architecturale ainsi que d’une très bonne maîtrise du dessin à main levée. Il s’agit avant tout d’éviter que les changements n’effacent trop vite un pan entier de nos qualifications, de nos aptitudes et de nos capacités intrinsèques à notre métier.
Si certains architectes confient leurs obsessions pour les belles images, d’autres essaient de résister à cette pression du marché. L’ordinateur offre de grandes possibilités mais pousse à dessiner trop rapidement les choses. La Perfection Numérique (principalement liée au détail) laisse de coté une réflexion plus générale, qui permettrait certainement de tisser d’avantage de liens entre architecture et environnement. On peut alors se demander si ces démarches considérées comme des formes de résistance, plus lentes et réfléchies, créées le même type architecture ? Dans quelle mesure arrivent-elles à impacter la production marginale de quelques conservateurs, gardiens ou protecteurs d’une société ou cadres et techniques sont en pleine révolution culturelle ?
Sébastien Lequeux
Architecte
1 Cf. Antoine Picon, Culture numérique et architecture : une
introduction, 2010, Birkhauser, 224p.
2 Cf. Michel Foucault, La pensée
du dehors, 1966, Paris, Fata Morgana, 72p.
3 Alain GUIHEUX, Post séduction. L’invention de nous-mêmes, le métier de l’empire. Article tiré
de l’ouvrage Action Architecture, 2011, éditions de La Villette, 183p.
4 Guy Desgrandchamps « le monde actuel est reconstruit par le design d’objet », extrait de
COSA MENTALE, Rencontres Architecture et Modestie 13&14 octobre 2011
3 Alain GUIHEUX, Post séduction. L’invention de nous-mêmes, le métier de l’empire. Article tiré
de l’ouvrage Action Architecture, 2011, éditions de La Villette, 183p.
4 Guy Desgrandchamps « le monde actuel est reconstruit par le design d’objet », extrait de
COSA MENTALE, Rencontres Architecture et Modestie 13&14 octobre 2011