mercredi 25 janvier 2012

Déconférences.

Le mois dernier, deux Conférences radicalement différentes se sont déroulées ici à Bordeaux. L’une était celle des architectes Nathalie Franck et Yves Ballot, l’autre celle de Winy Maas de l’agence MVRDV. La comparaison entre ces architectes ne semble pas forcément évidente ; les deux agences ne concourent pas vraiment sur la même échelle de projets et ne connaissent pas  la même médiatisation. Mais surtout, allant au-delà de la posture traditionnelle de l’architecte pour adopter celle du communiquant, deux visions très différentes de la manière de faire du projet S'opposent. Et cette opposition m’a paru assez symptomatique  (révélatrice) des débats et des différents courants d’idées qui animent le monde de l’architecture. 




    Lors de sa conférence, Winy Maas de MVRDV a longuement évoqué sa conception de l’Europe. Il a replacé son travail dans une actualité débordant du cadre de l’architecture, dépassant par là le rôle de l’architecte ou du moins l’ouvrant à d’autres disciplines. En cela, on pourrait le comparer à Rem Koolhaas* dont le travail abolit les frontières entre les différents domaines de pensées, les différentes formes de conception comme l’écriture et l’architecture. A moins qu’il ne convoque au service de son travail ces différentes disciplines.

    Winy Maas a ensuite abordé ou plutôt évoqué le projet urbain Bastide-Niel. Sa proposition pour la ville de Bordeaux et sa manière de voir la ville d’aujourd’hui (qu’elle soit ou non européenne!) semble extrêmement intéressante. Mais, son discours soulève des interrogations (d’ordre éthiques ?) sur sa manière de communiquer le projet. Cette Conférence-débat avait été organisée pour présenter le projet à un parterre de bordelais et non à un public d’architectes ou d’étudiants. Son propos aurait-il été différent si il avait fait cette conférence dans une école d’architecture ? Sa présentation est en effet apparue comme une certaine simplification de son travail. Une simplification à vocation pédagogique ? Il s’agirait plutôt de Vulgarisation. Il est vrai que le public convoqué était composé essentiellement de non-spécialistes et on peut penser que le discours devait être adapté à cet auditoire. Mais, là où cette vulgarisation atteint ses limites, c’est lorsqu’il semble communiquer comme il a conçut le projet. L’architecte d’MVRDV nous a présenté un défilé d’images 3D axonométriques montrant les différentes étapes de son processus de conception, jusqu’au… produit fini ! Mais, a t-il réellement pensé, imaginé et conçut le projet de cette façon ?
La tradition anglo-saxonne apparaitrait moins " instinctive ", " sensible " (qui fait appel aux sens) que la culture de projet française. Ainsi, lors de leur conférence, Y. Ballot et N. Franck ** ont présenté leurs différents projets de la manière dont ils les conçoivent. Ils ont présenté des photos de maquettes d’études et des croquis, montrant des espaces simplement esquissés et ne dissimulant alors rien des différentes étapes nécessaires à la construction d’un projet. Ces allers retours successifs et ces voies sans-issues que l’on emprunte parfois. Le projet fini n’étant alors qu’une étape de plus dans le processus de gestation d’une architecture.
Ils ne nous ont rien caché des « coulisses ». Dévoilant les rouages de conception d’un projet, ils rendent à l’architecture un statut qui va au-delà du produit commercial et de  la démarche Marketing. ***
Là où l’on enseigne le projet comme un processus itératif dans les écoles d’architecture de l’Hexagone, la version anglo-saxonne semblerait découler d’un processus plus linéaire. Le diagramme semblerait alors en être un des outils de prédilection. Winy Maas, s’inscrivant dans cette tradition, développe les différentes « couches » qui composent son projet de l’occupation du sol avec une certaine recherche de mixité fonctionnelle au travail sur la ventilation naturelle ou la gestion du cycle de l’eau. Les notions abordées ainsi que les problématiques soulevées restent passionnantes. Mais, de la Kasbah à l’ilot, en passant par la création " d’espaces de poches ", W.M opère un mélange des genres. Comme si il suffisait de superposer les calques pour aboutir à un projet urbain cohérent. L’architecte nous expose son projet comme une recette qu’il suffirait d’appliquer ! Le produit ainsi réalisé nous est ensuite " vendu ".
Comme un fil conducteur à sa présentation mais surtout à son travail, Winy Maas exprime l’importance que revêt pour lui cette dimension européenne. Il nous vend une conception de la ville à l’européenne pour un quartier qu’il veut résolument bordelais. Comment cette contradiction va se traduire dans l’espace ? Ainsi, la notion d’espace public affleure tout au long de son exposé. Lorsqu’il parle de créer un socle que se partageront les piétions et les automobilistes, lorsqu’il évoque des Espaces de Poches comme autant d’espaces du possible. L’atmosphère ainsi créée semble séduisante. 

Or on mesure là la vraie contradiction de son exposé, dans une démarche de séduction vis-à-vis des décideurs et des pouvoirs publics, il nous a présenté son projet comme un produit " fini " tout en insistant sur la qualité de futurs espaces de partage, de rencontres ("espaces de possible") alors même que, chargé du plan guide, il n’a pas vocation à en réaliser l’aménagement. Il est ainsi condamné à l’artificialité pour traduire les atmosphères qu’il recherche. Il traduit ainsi ces intentions par des images de synthèse qui baignent dans un flou artistique, des couleurs différentes pour chaque future opération, nous laissant suspendu à la réalisation future du projet pour mesurer la qualité de ces espaces qui nous ont été vantés, voire "vendus".  Espaces qui pourraient pourtant nous séduire.

Plutôt que de parler d’extrudation des volumes ou de barioler ses représentations, j’aurai aimé qu’il nous fasse davantage  Rêver avec sa rue à l’européenne et sa conception du "mignon" 

Margaux . R 

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* Rem Koolhaas d’abord écrivain avant d’être journaliste. R. K. à l’origine de la création de l’OMA (office for metropolitan architecture) autant que de l’AMO, son pendant, qui
s’intéresse à des questions politiques, sociales etc…
** Conférence qui a eut lieu au 308, les architectes s’adressaient à un auditoire plus averti
*** La conférence qui a eut lieu au 308, était à vocation plus pédagogique tandis que celle de Winy Maas relevait plus d’une « opération de séduction ». Pour autant, il existe une vraie différence de culture dans la manière de penser et de communiquer le projet.